Pourquoi est-il particulièrement difficile d'être soi-même aujourd'hui ?

Publié le 1 Octobre 2017

Un des problèmes les plus importants que nous devons résoudre est celui de l’écart entre notre personnalité authentique et la façon dont celle-ci se manifeste à l’extérieur. Très souvent, cet écart peut être très grand, notamment à cause du monde du travail qui exige beaucoup de conformisme. Dès qu’une personne commence à réfléchir, à développer des opinions indépendantes et des valeurs qui lui sont propres, elle va sentir de plus en plus de décalage entre ce qu’elle est au fond d’elle et ce qu’on lui demande d’être. Elle va avoir l’impression de mettre un masque chaque matin pour aller au travail.

Un aspect qui est difficile, c’est que la connaissance de soi et de ses valeurs est un processus de toute une vie. Elle reste encore floue à l’adolescence. Or, c’est généralement le moment où on nous demande de choisir son orientation professionnelle. Si nous effectuons des études supérieures, au moment où nous arrivons enfin dans le monde de l’entreprise, nous pouvons être devenus une personne très différente de celle que nous étions quand nous étions lycéens. Or, notre choix d’orientation est déjà fait et nous avons investi beaucoup d’efforts, de temps voire d’argent dans nos études que cela nous parait maintenant un gâchis de changer de voie.

Si la personne fait au début des efforts pour s’adapter à ce qu’on attend d’elle dans son poste, en cachant qui elle est vraiment et en renonçant à ses propres désirs et ses propres buts, en violant ses propres valeurs, ces efforts vont au fur et à mesure du temps lui causer toujours plus de souffrance. Ce tiraillement entre ce qu’elle est vraiment et le rôle qu’elle joue en société est très mauvais pour sa santé psychique et physique et peut la conduire jusqu’à la dépression, au burn-out et même la destruction de sa santé.

Un changement est alors nécessaire si on ne veut pas continuer sur la voie de l’autodestruction. Mais est-il possible aujourd’hui dans notre société de vivre de façon authentique ? N’est-on pas obligés constamment de porter un masque ? N’est-il pas presque irréalisable, tout particulièrement pour les personnes qui se sentent la vocation d’artiste (chanteur, acteur, écrivain …) étant donné que dans ces métiers les chances d’en vivre sont extrêmement réduites ?

La nécessité de « gagner sa vie » est un des plus grands obstacles à la vie authentique. Certains ressentent fortement le travail comme une forme de « prostitution » : « je vends mon temps, mon énergie, mon intelligence, mes talents, en faisant quelque chose que je déteste voire qui me parait nocif aux autres en échange d’une paye à la fin du mois. »

La possibilité de vivre nos rêves peut nous sembler accessible à un nombre réduit d’élus laissant à la majorité des autres la seule possibilité de vivre une vie qui ne nous appartient pas. D’ailleurs de plus en plus, les métiers deviennent impersonnels et les tâches que l’on demande d’effectuer deviennent de plus en plus standardisées transformant ceux qui les effectuent en robots dans le but plus ou moins volontaire de les remplacer effectivement un jour par un vrai obot. Cela est mêmes vrai dans les professions qui paraissent à première vue « intellectuelles » (exemple : ingénieur…) quand les capacités intellectuelles deviennent un instrument, un outil au service de la productivité.*

Une personne qui voudra mettre un peu « d’elle-même » dans son travail se fera généralement mal voir car « ce n’est pas ce qu’on lui demande ». Dans la plupart des métiers, même si on affirme le contraire, la créativité et l’originalité sont grandement découragées. Et si c’était parce qu’une personne créative, c’est une personne qui pense par elle-même et qui est par conséquent moins obéissante ?

Pour gagner notre vie, si nous sommes des ronds, nous devons nous efforcer de devenir des carrés avec toutes les conséquences désastreuses que cela implique. Quand nous arrivons à cette réalisation, les barreaux de notre prison nous apparaissent alors de plus en plus nets et notre vrai « moi » se débat et se fait violence cherchant désespérément une délivrance.

Jusqu’à quel point sommes-nous capables d’accepter de renoncer à nous-mêmes pour gagner de l’argent ? Cela peut être une raison d’avoir pitié de ceux qui ont « vendu leur âme » pour en gagner beaucoup.

Si la réalisation de soi et l’authenticité sont pour nous des besoins essentiels, alors nous devons déployer des efforts et de la réflexion afin de trouver le meilleur compromis possible en prenant en compte les difficultés énormes posées par notre société actuelle. Mais si nous sommes honnêtes avec nous-mêmes, nous réaliserons que nous n’avons pas le choix. Si nous ignorons ce problème, il saura se manifester un jour à nous soit par une dépression, un burnout ou une maladie résultant de la somatisation.

* Ci-dessous un extrait de la Métaphysique de l'amour d'Arthur Schopenhauer qui illustre la différence entre d'une part le talent qui correspond à la mise au service des capacités dans un but instrumental et de l'autre le génie :

« Les simples hommes de talent arrivent toujours au moment voulu : car, pleins de l’esprit de leur époque, appelés par les besoins de leur temps, ils ne sont capables que d’y satisfaire. Ils interviennent donc dans le développement progressif de leurs contemporains ou dans l’avancement graduel d’une science particulière, et ils trouvent là récompense et approbation. Mais la génération suivante ne peut plus goûter leurs œuvres : celles-ci doivent céder la place à d’autres, qui ne font pas non plus défaut. Le génie, au contraire, traverse son temps, comme la comète croise les orbites de planètes, de sa course excentrique et étrangère à cette marche bien réglée qui se peut embrasser d’un seul coup d’œil. Aussi ne peut-il concourir au développement régulier de la civilisation déjà existante ; mais, semblable à l’imperator romain, qui, se vouant à la mort, lançait son javelot dans les rangs ennemis, il jette ses œuvres bien loin en avant sur la route où le temps seul viendra plus tard les ramasser. Son rapport aux hommes de talents qui occupent jusque-là le faîte de la gloire se pourrait exprimer par ces paroles de l’Evangéliste :

"Jésus leur dit: «Le moment n'est pas encore venu pour moi, tandis que pour vous, c'est toujours le bon moment." (Jean 7:6)

La talent a la force de créer ce qui dépasse la faculté de production, mais non la faculté de perception des autres hommes. L’œuvre du génie dépasse au contraire non seulement la faculté de production, mais encore la faculté de perception des autres hommes ; aussi les autres ne le comprennent-ils pas tout, d’abord. Le talent, c'est le tireur qui atteint un but que les autres ne peuvent toucher ; le génie, c'est celui qui atteint un but que les autres ne peuvent même pas voir : ils n’apprennent donc à le reconnaître qu’indirectement, c’est-à-dire tard, et ils s’en rapportent alors même à la parole d’autrui. »

- Arthur Schopenhauer, Métaphysique de l’amour

Rédigé par Roseau pensant

Publié dans #Indépendance d'esprit

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